Marc et Paola Sadler

Marc et Paola Sadler

Designers industriels

29 septembre 2017

Milan

Designer industriel mondialement connu, Marc Sadler est un citoyen du monde. Né en Autriche, d’origine française, il a vécu et travaillé en France, aux États-Unis, en Asie et en Italie. Dans les années 70, il se spécialise dans le design sportif en créant la première chaussure de ski en matière thermoplastique entièrement recyclable pour l’entreprise italienne Caber, qui deviendra par la suite Lotto. Le succès est immédiat. Ce moment marque le début d’une longue et fructueuse carrière ponctuée de collaborations avec des entreprises internationales de grande envergure telles que Dainese. Il concevra pour la marque la célèbre coque de protection dorsale qui fait aujourd’hui partie de la collection permanente de design du MOMA, à New York. Il a apporté sa contribution à différents domaines : bagages, mobilier ou encore appareils électroménagers, petits et grands. Il a reçu quatre fois le prix Compasso d’Oro ainsi que de nombreuses autres récompenses internationales. Il est passionné de peinture et de dessin.

Milan, Parme, la Sicile... Que représente pour vous le fait de vivre en Italie ?

Marc : Milan est un peu comme la pointe d’un compas : un point central où l’on va travailler. En toute honnêteté, je n’aimais pas la ville. Quand j’ai eu l’opportunité d’emménager ici (au n°27 de la Via Savona, dans un complexe industriel où se côtoient zones résidentielles et salles d’exposition, à quelques pas du club d’aviron du Naviglio Pavese à Milan), Paola et moi vivions à Venise. On a pensé que ce serait plus simple d’avoir un bureau à Milan. C’était une ville morne, bien moins dynamique que Paris.

Paola : On s’est laissé avoir par les clichés sur Milan mais on a fini par changer d’avis. J’aime cette ville, elle a des faces cachées, tout comme ce lieu.

Marc : D’ici, on peut facilement prendre l’avion pour la destination de notre choix.

Paola : Notre maison en Sicile, par exemple, qui est un petit cocon surplombant la mer, à la pointe de l’île, tout près de l’Afrique.

Qu’est-ce qui vous donne envie de déménager ?

Marc : J’aime le changement, ce qui n’est pas le cas de Paola. J’ai toujours vécu et travaillé dans différents pays et j’aime à croire que cela pourrait encore arriver. C’est toujours le travail qui m’a fait déménager.

Paola : Et les opportunités de travail ne sont jamais bien loin... Quand nous vivions à Venise, Marc allait souvent à Milan et maintenant que nous habitons Milan, il se déplace régulièrement dans le Nord-Est de l’Italie.

Le Nord-Est de l’Italie : mythe ou réalité en matière de design ?

Marc : Cette région de l’Italie est la terre d’artisans qui se sont mués en entrepreneurs tout en conservant leur savoir-faire et leur professionnalisme. Mon métier étant de transformer des matériaux en objets de design, c’est un aspect fondamental pour moi.

La valeur ajoutée viendrait donc de la capacité à cesser d’opposer, comme on le fait généralement, la tradition et l’innovation technologique ?

Marc : Absolument. C’est le coup de maître des artisans : réussir à fabriquer un bon produit industriel en conservant les propriétés du matériau utilisé mais aussi en trouvant de nouvelles solutions si nécessaire. Quand nous rencontrons un problème sur un projet, je pense toujours à l’un des ateliers du Nord-Est de l’Italie.

Paola : Cependant, les Vénètes sont moins ouverts d’esprit qu’ils ne l’étaient, un peu comme à Brianza.

Marc : Mais ce sont des personnes excentriques qui savent utiliser un produit de mille façons. Maurizio Riva, par exemple, qui fait des essais avec des matériaux de façon vraiment originale et créative.

À Milan, Marc et Paola ont choisi de poursuivre le modèle maison/atelier qu’ils avaient adopté à Venise.

Le courant provenant de Milan existe-t-il toujours ? Le dernier salon du meuble était sans grand intérêt.

Marc : On pourrait parler d’un manque d’audace. Pour ma part, je parlerais d’un courant italien plus que milanais. Le mouvement italien se caractérise par la capacité de ses maîtres à penser des solutions qui, plus tard, deviendront des objets de design. C’est ce qui rend ce courant unique. Les Français et les Allemands proposent, eux aussi, de nouveaux concepts mais les Italiens y apportent une touche qui fait toute la différence. Quand je pense à toutes ces fois où je me suis juré de ne plus retourner en Italie. Ils travaillent toujours de la même façon. Et pourtant, je suis revenu car certaines choses ne pouvaient être faites qu’ici.

Paola : Je crois qu’on peut parler d’un courant milanais, on peut même dire qu’il est très apprécié. Tout le monde aimerait pouvoir en être, y participer. Mais peut-être qu’il existe trop de magazines de design. En Italie, certaines personnes et entreprises sont perçues comme des modèles mais au final, peu d’entre elles se demandent quelle approche est la bonne.

Qu’est-ce que Milan a à offrir en matière d’enseignement du design ?

Paola et Marc : Nous aimons beaucoup le Mudec et nous avons apprécié certaines expositions de la Triennale, de l’histoire des systèmes de vis écrou à la technique ancestrale de tissage originaire de Mongolie, de par leur caractère informatif et éducatif. De nombreux espaces dédiés au design existent à Milan mais il serait sans doute bon que les conservateurs actuels laissent place à la génération suivante.

Marc : Quand je vais à Copenhague, je vois toujours les mêmes objets de design car leur façon de penser est présente absolument partout. En France, le design est créé à partir d’un rien et les designers excellent dans l’art de se référer au passé. En Allemagne, en revanche, tout est très structuré. Finalement, si j’aime autant l’Italie, c’est pour le réel respect qui existe pour le savoir-faire des entreprises.

Par où commence-t-on pour concevoir une maison à deux ? (Ils hésitent puis Paola commence à rire.)

Marc : Notre maison n’était pas censée être notre copie conforme et pourtant, elle nous ressemble beaucoup, elle reflète ce que nous sommes. Pour ma part, j’aime le désordre, l’inachevé. Paola a cela en horreur ! Pour elle, tout doit être symétrique, bien en place.

Paola : Tu vas nous faire passer pour Mr et Mrs Jones !

Marc : On ne voulait pas d’un mausolée mais d’un endroit à nous, pour nos enfants, notre chat. Notre maison est composée d’objets que nous utilisons et dont aimons être entourés au quotidien. C’est un concentré de vie, un lieu où des objets hérités de ma mère et de sa famille ont leur place. Dans notre maison de campagne près de Parme, nous avons une armoire de huit mètres de long particulièrement difficile à ouvrir mais absolument magnifique.

Paola : On retrouve chez nous des souvenirs de nos anciens lieux de vie, de nos histoires et de nos expériences.

Marc : Prenez cette table par exemple (une iconique table USM Haller à plateau noir). Elle a presque 30 ans mais elle me plaît toujours autant. Je ne m’en séparerais jamais.

Votre maison vous a-t-elle immédiatement inspirés ?

Marc : La maison de la Via Savona, complètement ! Ç’a été un vrai coup de foudre. En rentrant à Venise, Paola m’a d’ailleurs passé un sacré savon parce que j’avais fait une offre sur une maison qu’elle n’avait jamais vue !

Paola : Notre maison de Venise était un petit coin de paradis, on avait même un petit bateau... Puis un jour, il est rentré à la maison et m’a montré la photo de ce lieu presque abandonné. Au départ, l’endroit était vraiment en piteux état mais il s’est avéré un très bon choix, même l’atmosphère aujourd’hui est différente de ce qu’elle était.

Marc : Aujourd’hui, il y a tous ces types branchés avec leur barbe et leurs tatouages.

Paola : Au début, nous étions un groupe de designers et nous organisions souvent des fêtes dans le jardin. Ensuite, des ateliers de mode se sont installés et les prix ont commencé à grimper. Depuis, l’atmosphère a changé. Nous étions les premiers à avoir des enfants ici; notre fille, qui a 20 ans aujourd’hui, était pratiquement la seule de son âge. Maintenant, le week-end, on a l’impression d’être dans un village de campagne !

Parmi les travaux de Marc, on distingue notamment des bagages, des meubles, des lampes ainsi que des appareils électroménagers de toutes tailles. Il a remporté le prix Compasso d’Oro, le « prix nobel » italien de design, à plusieurs reprises.

“C’est un équilibre fragile entre les molécules, un peu comme pour la nitroglycérine : certaines règles doivent être respectées.”

Quel effet cela fait-il d’avoir son lieu de vie et son atelier si proches l’un de l’autre ?

Marc : On ne s’arrête jamais vraiment de travailler. À la maison, à l’atelier... Mais ce système me convient, c’est vraiment pratique. Sans compter que ça me permet d’éviter les embouteillages.

Paola : Le seul côté négatif, c’est qu'on ne se déconnecte jamais vraiment.

Travailler main dans la main, est-ce un défi, une opportunité ou une stimulation en tant que couple ?

Marc : Les trois, chaque élément ayant sa part de positif et de négatif. Cela implique également de devoir se tempérer, l’un comme l’autre.

Paola : Pour moi, c’est à la fois une situation de partage et de conflit. Vous n’êtes pas en désaccord avec votre chef mais avec votre mari par rapport au travail.

Ces tensions ont pourtant fait leurs preuves...

Paola : Tout à fait car je crois que cette différence radicale est une grande source d’inspiration.

Marc : Ça permet aussi de limiter les dégâts : si je tombe amoureux d’un projet sans issue, Paola est là pour me recadrer.

Quel secret se cache derrière l’harmonie qui vous unit dans le travail ?

Paola : Peut-être le fait que je ne sois pas designer.

Marc : Elle dit toujours qu’elle n’est pas designer ! Je suis content que cette harmonie se ressente.

Paola : C’est un équilibre subtil entre les molécules, un peu comme pour la nitroglycérine. Certaines règles doivent être respectées.

Marc : Chacun sait rester à sa place : Paola se charge d’écrire, je me charge de dessiner puis chacun émet son opinion.

Paola : Il est primordial de se respecter et de garder en tête que c’est une partition à quatre mains. J’excelle dans certains domaines et il me surpasse dans d’autres. Après toutes ces années, on réussit peut-être mieux à gérer tout ça.

Quelle limite entre le privé et le public vous fixez-vous, que ce soit dans une interview ou pour un projet ?

Paola : Dans les projets, l’aspect privé est celui que l’on ne peut pas voir : quelque part, un projet est toujours un compromis. Le design industriel n’est ni un art ni un savoir-faire.

Marc : Le designer se met au service d’une entreprise dont l’objectif est de promouvoir sa marque et ses produits. Pour cela, le designer doit donner de sa personne. Ni Paola ni moi ne souhaitons transmettre ce que nous sommes ou ce que nous pensons à une entreprise. Celle-ci peut décider de mettre en place sa propre solution, solution que nous pourrons trouver en travaillant ensemble.

Paola : Certaines opinions ne peuvent s’appliquer à un projet, elles doivent rester personnelles.

Comment imaginez-vous l’avenir ?

Marc : En dents de scie ! Après les vacances d’été, j’avais comme une envie de gagner au loto et de mettre un terme à tout ça. Puis j’ai passé une journée à Milan avec des clients pour le prochain Salon du meuble et j’ai retrouvé mon enthousiasme en un clin d’œil.

Paola : Ces dernières années, travailler avec des entreprises n’a pas toujours été évident. Nous avons vu tant de projets, dont les commanditaires aussi bien que nous étions convaincus, rester au point mort à cause de la crise. Pour faire correctement notre métier, nous avons besoin de faire des recherches, d’expérimenter..

Pensez-vous clore ce chapitre un jour ?

Marc : J’aimerais consacrer plus de temps à la peinture. C’est l’une de mes plus grandes passions. J’aime aussi beaucoup la photographie. Un jour, j’aimerais pouvoir me dédier complètement à cela. Mon cerveau a toujours fonctionné de deux façons : de manière rationnelle et irrationnelle à fois. Si je renie une partie de moi, je le ressens.

Paola : Milan et Venise en sont le parfait exemple : quand nous habitions à Venise, nous venions souvent à Milan; depuis que nous vivons à Milan, c’est le contraire. À un moment, on a envie de dire « stop » !

Marc : Pourtant, je pense que je n’en serai jamais capable.

La pièce de vie au rez-de-chaussée se distingue par ses grandes baies vitrées. Une immense salle comprenant un espace de détente, la salle à manger et la cuisine ouverte. Les colonnes en fonte témoignent du passé industriel du complexe où se trouve la maison.

“Notre maison n’était pas censée être notre copie conforme et pourtant, elle nous ressemble beaucoup, elle reflète ce que nous sommes.”

Marc Sadler et sa femme, Paola, ont conçu leur maison ensemble. « On ne voulait pas d’un mausolée mais d’un endroit à nous, pour nos enfants, notre chat. Notre maison est composée d’objets que nous utilisons et dont aimons être entourés au quotidien. »

Un grand merci à Marc et Paola de nous avoir ouvert les portes de leur maison.Rendez-vous sur le site de Marc Sadler pour en savoir plus sur ses projets.

Ce portrait a été produit par le magazine international Freunde von Freunden. Cliquez ici pour découvrir tous les meubles USM pour votre maison et votre bureau.